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Teresa Stratas – Lulu / Alban Berg – 1979   Player

Article de Jean-Pierre Sévigny

Issue d’une famille immigrante grecque établie à Toronto, la soprano Teresa Stratas (Anastasia Stratakis) enregistre l’opéra Lulu de Alban Berg (1885-1935) pour Deutsche Grammophon en 1979. Au départ, le chef d’orchestre Pierre Boulez possède une vision très claire et analytique de cette œuvre dodécaphonique (emploi des douze tonalités) complexe et difficile à interpréter.

La version nouvellement reconstruite de l’opéra en trois actes  -le compositeur autrichien Friedrich Cehra a complété le dernier acte- est présentée en grande pompe à l’Opéra de Paris en mai 1979. Lulu dont la mise en scène somptueuse porte la griffe de Patrice Chéreau éblouit le public parisien et international. Le Times de New York décrit l’événement comme « sans doute la première la plus étonnante et flamboyante d’un opéra depuis la seconde guerre mondiale. » À cette occasion, l’opéra de Paris a rassemblé une distribution internationale de premier plan qui inclus Yvonne Minton, Hanna Schwarz, Franz Mazura, mais c’est la performance électrisante de Teresa Stratas qui stupéfie le public et séduit les critiques.

Pochette lulu

Teresa Stratas  -qui a chanté dans les plus opéras du monde-  habite toutes ses performances d’une intensité fébrile. Elle s’identifie totalement aux personnages qu’elle interprète, et plusieurs de ses performances ont acquis un statut légendaire. Elle a incarné plus de cinquante rôles à l’opéra mais c’est son interprétation de la prostituée Lulu qui résume le plus sa conception de l’opéra.

Actrice et chanteuse, Stratas a fait des choix audacieux, émotifs. Elle a pris des risques. La plupart de ses choix sont heureux et traduisent de profondes convictions morales et spirituelles. L’histoire de Lulu est sordide et violente et tourne autour de la séduction, la dégradation et la trahison. Le personnage principal est la représentation ultime de la femme fatale, figure tragique du post-romantisme. C’est un être de sensualité pure qui n’existe que dans le désir des hommes. En fait, Lulu est plus une victime, un ange déchu qu’une  femme fatale et, par la prestation de Stratas, on retrouve une certaine rédemption chez la prostituée.

Stratas fait bien plus que chanter, elle habite le personnage et nous offre une performance chargée d’émotion. Le public sidéré voit et sent cette Lulu faite de chair, de contradiction et de démesure. Tout comme la mythique Maria  Callas, Stratas ne se limite pas à faire du « bel canto », où la performance est centrée sur le beauté du chant et une gestuelle élégante codée, elle fait du « melodramma », où elle peut aussi explorer la dimension dramatique et tragique de Lulu. Ici la chanteuse transmet par sa voix, en plus des notes de la partition, les sentiments et les émotions du personnage. Lulu est une femme blessée, tourmentée. Stratas est capable de chanter tout en laissant passer toute cette énergie, cette émotion, cette folie par moment. On est confronté à cet « art total » si cher à Wagner et à ses disciples. Peu de chanteurs d’opéra moderne peuvent le faire avec autant de brio que Stratas. 

Considéré enregistrement historique dès sa sortie, le disque Lulu a remporté plusieurs prix prestigieux dont deux trophées « Grammy » en 1980 : meilleur enregistrement d’opéra et disque classique de l’année. 

Liens

http://www.thecanadianencyclopedia.com/index.cfm?PgNm=TCE&Params=Q1ARTQ0003318
http://www.avtrust.ca/masterworks/2005/fr_soundrecording_1.htm

 

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